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  Relu par Aurélien DELBECQ.
  

Publié sur un rythme trimestriel, chacun des textes est soumis à un comité de lecture spécifique en fonction des sujets évoqués.

 
 
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Les musiques actuelles, une filière à revaloriser


rédigé en mai 2024
 

Structurellement sous-dotée mais parmi les filières les plus dynamiques des industries culturelles et créatives, les musiques actuelles gagneraient à voir leur impact socioéconomique réévalué, par les partenaires publics et privés mais aussi par les professionnel·le·s qui la font vivre.
 
 
Une filière sous-dotée…

L'actualité de l’examen du PLF 2024 l’a confirmé : les musiques actuelles comptent parmi les filières culturelles les moins dotées par l’Etat et les collectivités locales. Le débat parlementaire autour du financement des SMAC (Scènes de Musiques Actuelles) a pointé leur « situation alarmante », ce label étant au sein du spectacle vivant celui qui bénéficie de l’aide moyenne de l’Etat la plus faible et dont le montant plancher de participation de l’Etat est le plus faible 1.

Quand on sait que les SMAC ne constituent que la partie émergée de l’iceberg, en tant qu’équipements parmi les plus aidés des musiques actuelles, l’inquiétude est légitime à l’heure où le gouvernement annonce de sérieuses coupes budgétaires en 2024-2025. Ce sous-financement chronique va en effet au-delà du seul label SMAC, et concerne également les dotations des collectivités locales. Le cas de la Région Hauts-de-France l’illustre assez nettement. Historiquement, la Région Hauts-de-France investit massivement dans la culture, au moins depuis les années 1970 et l’arrivée de Pierre Mauroy à la tête de l’exécutif régional. Elle est encore en 2023 la région métropolitaine dont le budget culture est le plus important, que ce soit en valeur absolue, en part du budget global de la collectivité ou en euros par habitant·e 2. la part de budget de la Région Hauts-de-France captée par les musiques actuelles semble minime au regard d’autres filières culturellesEt cela devrait se confirmer pour 2024 : les régions ont toutes adopté leur budget et les Hauts-de-France conservent le budget culturel le plus élevé à 110,8 millions d’euros (+3 % en un an) 3.

Or, la part captée par les musiques actuelles semble minime au regard d’autres filières culturelles. Les chiffres compilés par le Collectif régional arts et culture (CRAC) sur la période 2015-2019 sont assez parlants. En 2019 par exemple, si on distingue par filières, les musiques actuelles représentent 4,1 % des fonds régionaux dédiés aux programmes d'activités culture (donc hors aides aux projets), contre respectivement 23,8 % pour les musiques de répertoire, 23,4 % pour le patrimoine, 18,3 % pour le spectacle vivant pluridisciplinaire, 8,7 % pour le cinéma et l'audiovisuel, ou encore 5,8 % pour les arts visuels 4. Des données plus actuelles permettraient de voir si le Covid-19 a changé la donne à ce titre (ou non).

La structuration de la filière musiques actuelles est aussi en cause. Très composite et à la croisée de plusieurs logiques (privée à but lucratif, publique, ESS) et secteurs d’activités (spectacle vivant, musique enregistrée, audiovisuel), ses acteurs et actrices ont peu tendance à solliciter les services des collectivités en dehors des directions culturelles. Ils et elles développent par exemple peu de liens avec les technicien·nes des collectivités des directions liées à l’emploi, la formation professionnelle ou à la transformation de l’économie régionale et sont donc moins identifié·es et peu socialisé·es aux cadres de financement et aux logiques de ces services. Cela les prive d’une diversité potentielle d’aides axées sur les volets de l’économie, du rayonnement ou encore de la transition écologique, que d’autres filières embrassent plus volontiers (l’audiovisuel par exemple).



… dont l’impact économique est déterminant

Paradoxalement, les récentes données produites par le ministère de la Culture attestent du poids dominant de la musique dans l’économie du spectacle vivant. La toute première photographie réalisée pour la billetterie du spectacle vivant en 2022 indique que la musique représente près d'un quart des représentations, la moitié du public et 60 % des recettes de l'ensemble. En affinant un peu, on s’aperçoit que les musiques actuelles sont très largement responsables de cet impact : elles représentent 19 % des représentations, 42 % du public et la moitié des recettes de l’ensemble 5.

La conclusion qui s’impose : alors qu’elle est structurellement sous-dotée par les pouvoirs publics, la filière musicale – et au premier chef, les musiques actuelles – est la filière du spectacle vivant dont l’impact économique est le plus prononcé. Et le raisonnement pourrait s’étendre dans une certaine mesure au champ plus vaste des industries culturelles et créatives (ICC). La musique est le 5ème secteur des ICC en termes de chiffre d’affaires en 2018 en France (9,7 milliards d’euros), avec une croissance plus soutenue que la majorité des autres secteurs (+ 10,4 % sur 2013-2018), et le second employeur (près de 257 000 salari·é·s en 2018), derrière l’audiovisuel mais avec une croissance des effectifs bien plus soutenue là aussi (+ 22,1 % sur 2013-2018) 6.



Un potentiel à réévaluer

Imaginons un instant que les pouvoirs publics prennent la mesure du potentiel économique de la filière musicale et qu’ils la soutiennent en conséquence : son impact en serait décuplé, et elle deviendrait un acteur de poids avec qui il faudrait définitivement compter. Comme le montrent les tergiversations gouvernementales autour de la taxe streaming et du financement du CNM, on en est encore loin. Une récente étude conduite par la Guilde des artistes musiciens (GAM) révèle par ailleurs que le soutien public aux artistes de la musique est inconsidéré en France, leur laissant assumer la majeure partie du risque à produire leurs œuvres et développer leur carrière et nuisant sérieusement à l’émergence et la diversité artistiques 7.

Mais, rêvons encore un peu, supposons qu’ils actent le fait que cette richesse économique n’est qu’un indicateur parmi tout un ensemble de retombées produites par la musique, encore moins visibles et difficilement mesurables : lien social et cohésion, essaimage artistique et création, santé, prévention des risques et lutte contre les inégalités, actions culturelles et éducation artistique, formation et professionnalisation, patrimoine, attractivité territoriale et rayonnement culturel à l’étranger, etc. La musique serait alors soutenue à la mesure du rôle qu’elle a dans nos vies : un « fait social total » pour reprendre les mots de l’anthropologue Marcel Mauss, qui procure du travail et une opportunité de se former à certain·es, une façon de s’exprimer et/ou de s’extirper de sa condition sociale à d’autres, une passion et du plaisir à beaucoup, en somme une valeur sociale à tout un chacun...

 
 
 

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Notes

 
1  En 2019 : un cinquième des professionnels de la culture ont des parents dont la PCS est à dominante cadre, soit près de trois fois plus que pour l’ensemble des actifs en emploi ; 41 % des professionnels de la culture sont Franciliens, contre 21 % des actifs en emploi ; la moitié des professionnels de la culture possèdent un diplôme équivalent au moins à un bac + 3, soit près de deux fois plus que dans l’ensemble des actifs en emploi. Voir W. Merchaoui et S. Picard, 25 ans d’évolution de l’emploi dans les professions culturelles : 1995-2019, DEPS, coll. « Culture chiffres », 2024-1, juin 2024, 44 p.
De surcroît, la population des communes rurales diffère fortement de celle des grands centres urbains, notamment car elle est plus âgée, moins diplômée et de catégorie sociale plus modeste. En 2020, la part des 60 ans et plus est trois fois plus élevée que celle des 15-24 ans dans les bourgs ruraux, et près de trois fois et demie supérieure dans le rural à habitat très dispersé, contre une fois et demie supérieure dans les grands centres urbains. La part des cadres est deux fois et demie plus importante dans les grands centres urbains que dans les territoires ruraux, et celle des employés et ouvriers 1,2 fois moindre. Enfin, la part des diplômés de l’enseignement supérieur est 1,7 fois plus importante dans les grands centres urbains que dans les territoires ruraux. Voir L. Garcia et E. Millery, Loisirs des villes, loisirs des champs ?, DEPS, coll. « Culture études », 2023-5, novembre 2023, 36 p.
 
2  On parle bien de probabilité au sens statistique et non d’une norme : chacun sait que des « pros » peuvent aussi être des « ruraux ».
 
3  On peut lire à ce titre L’amour de l’art (1966) et La Distinction (1979) de Pierre Bourdieu, La Fabrique de la programmation culturelle (2017) de Catherine Dutheil-Pessin et François Ribac, Quand l’art chasse le populaire (2023) de Marjorie Glas ou encore les travaux de Fabrice Raffin.
 
4  Le cas des festivals illustre cette dichotomie : un tiers des quelque 7300 festivals recensés en France se déroulent en milieu rural, mais sont moins professionnalisés, dotés de budgets et d’un niveau de subventionnement bien inférieurs à ceux des grands centres urbains. Voir J. Audemard et al., SoFEST ! - Ruralités, France Festivals, avril 2024, 32 p.
 
5  Les quartiers prioritaires de la politique de la ville souffrent des mêmes idées reçues : ce sont moins des déserts culturels que des territoires moins dotés, où différentes offres culturelles restent accessibles à une population dont les pratiques demeurent assez comparables à celles de l’ensemble des Français, et où les habitants attendent une meilleure prise en compte de leurs demandes. Lire L’action du ministère de la Culture dans les quartiers de la politique de la ville, mission d’étude, IGAC, juin 2024, 188 p.
 
6  Sur les démarches de création partagée de la Chambre d’eau, lire R. Sourisseau, Enjeux et pratiques de l’éducation artistique et culturelle en ruralité, octobre 2023, 71 p.
 
7  En France, l’évolution des écarts sociaux entre 1973 et 2018 varie en fonction du type de pratique culturelle : une réduction particulièrement forte pour l’écoute de musique enregistrée, importante pour la fréquentation des bibliothèques, des cinémas et des théâtres, et une augmentation de ces écarts pour les lieux patrimoniaux (musées, expositions, monuments) ou les concerts de musique classique, de rock et de jazz. De façon générale, la fréquentation des équipements culturels demeure plus souvent le fait des catégories supérieures urbaines diplômées. Voir P. Lombardo et L. Wolff, 50 ans de pratiques culturelles en France, DEPS, coll. « Culture études », 2020-2, juillet 2020, 92 p.
 
8  Voir par exemple la Maison-Ateliers dans le Trièves (38) et la Fabrik au sein des Monts du Lyonnais (69).
 
9  En France, 44 % des enquêtés confirmaient en janvier 2022 avoir pris l’habitude d’utiliser le numérique pour accéder à des contenus culturels ; et près d’un enquêté sur trois estimait que la programmation des lieux culturels n’était plus en phase avec ses attentes, un décalage très marqué chez les jeunes et les plus diplômés. Lire J. Müller et A. Schreiber, Les sorties culturelles des Français après deux années de Covid-19, DEPS, coll. « Culture études », 2022-6, juillet 2022, 20 p. Cette tendance semble se confirmer puisqu’en octobre 2023, environ trois Français sur dix déclaraient une plus forte consommation de contenus culturels en ligne et une baisse des sorties depuis la crise sanitaire. Voir L. Garcia, A. Jonchery et C. Thoumelin, Les sorties culturelles des Français et leurs pratiques en ligne en 2023, 2024-2, avril 2024, 44 p.